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Chroniques
Jacques Lenot
Utopies et allégories – Entretiens avec Franck Langlois
Après Adès, Benjamin, Boulez, Fénelon et Manoury, la collection Paroles des éditions M.F. (Musica Falsa) s'entretient aujourd'hui avec Jacques Lenot. Ce petit volume de Franck Langlois constitue le premier livre sur le compositeur français. Sept chapitres nous introduisent dans un univers que sécrètent des rituels graphiques sans que la notion de couleur le visite. Regards sur l'écriture évoque la technique des paramètres bloqués dans le rassurant souvenir de Donatoni, mais aussi la lecture, celle de Proust et de la Bible, avant que le musicien décrive sa propre manuscription qu'aucun ordinateur ne saurait remplacer, pour de vraies raisons pratiques. Langage musical aborde le système obsessionnel avec lequel Jacques Lenot compose depuis trente ans sans s'y trouver enfermé. Après avoir précisément redéfini les notions d'harmonie, de forme, d'architecture ou de mouvement – une seule et même chose selon lui –, il s'explique sur l'influence que prit Gruppen (Stockhausen) sur son propre travail, puis sur la fréquentation de Bussotti qui lui permit de dépasser un ressenti castrateur à l'audition intégrale des Klavierstücke – « Stockhausen est un monument qui m'a longtemps paralysé ». C'est dans cette partie que brille la clé de l'œuvre de Lenot, lorsqu'il parle des tombeaux – « J'ai construit l'essentiel de mon œuvre sur le deuil ».
On quitte soudain le dialogue pour une suite de données factuelles monologuée, voire d'anecdotes où l'artiste ne livre plus grand'chose, dans Piano et orgue. Il fallait s'y attendre : depuis le début, l'interview laissait pressentir qu'il se déroberait. Sur ses pages organistiques et pianistiques, nous lirons donc une bibliothèque de notices. Plus détaillé se trouve son rapport à l'orgue, Lenot réglant volontiers quelques comptes avec le clergé avant de rendre hommage à plusieurs organistes et de rappeler son immersion dans le monde de l'instrument lors d'une sorte de retraite vécue dans le Gers, près de l'atelier d'un facteur d'orgue. Da camera mâtine le même principe de notices à quelques investigations plus larges.
Parce que la musique de Jacques Lenot surgit en 1966 par des œuvres pour grand effectif, la cinquième journée de ces entretiens est consacrée à l'Orchestre. Le dialogue reprend, nous apprenant, entre autres, que Tristan und Isolde (Wagner), Così fan tutte (Mozart), Le Sacre du Printemps (Stravinsky), Oiseaux exotiques (Messiaen), le 2ème Concerto pour piano de Bartók, le premier mouvement du 1er Concerto pour violon de Prokofiev, Gruppen (Stockhausen) et Le Soleil des eaux (Boulez) furent « les piliers de [son] apprentissage autodidacte de l'écriture pour l'orchestre », outre la place nourricière que tiennent Stravinsky et Webern et les révélations intimes de la musique de Szymanowski.
Grand lecteur de Jaccottet, Hölderlin et Rilke, Lenot entretient un rapport privilégié avec la poésie. À Salzbourg, en 1972, il découvre la vibration particulière de l'opéra, à travers ceux de Mozart et de Strauss. Voix et opéras revient sur les premières tentatives – Oper'avvanti, Le mariage obscur et Un enchaînement prolongé de la grâce – et se fixe sur J'étais dans ma maison et j'attendais que la pluie vienne [lire notre chronique du 29 janvier 2007] dont les neufs scènes sont clairement présentées. Pour finir, quelques éléments biographiques, avec Regards sur soi. Plus qu'une étude approfondie, cette publication est une invitation à l'écoute.
BB